Charles Carcopino
Interview : Naïm Dufour
Captation vidéo : Sybille Clemente
Captation son : Li Wang
Montage : Quentin Laperche-Calvo
Découvrez les coulisses du festival accès)s( #18.
Si rien ne se passe, continuez à scroller…
Interview : Naïm Dufour
Captation vidéo : Sybille Clemente
Captation son : Li Wang
Montage : Quentin Laperche-Calvo
Interview de Pauline Chasseriaud, directrice de l’association accès)s(, par Christophe Léon et Thomas Rouillon. Montage de Christophe Léon.
Interview : Clara Desperben
Captation vidéo : Clara Loustau & Jeanne Hervé-Maley
Captation son : Jeanne Hervé-Maley
Montage : Jeanne Hervé-Maley
Petites Mains : Ulysse Feigne, Sophie Mayos, Victor Kryszak, Alexandra Amiel, Kevin Lebrun
Interview de Quitterie Charpentier, chargée de communication et de médiation pour l’association accès)s( par Quentin Laperche Calvo.
Interview : Clara Desperben
Captation vidéo : Jeanne Hervé-Maley
Captation son : Christophe Léon
Traduction : Clara Desperben
Sous-titres : Jeanne Hervé-Maley
Montage : Claire Lhermitte & Christophe Léon
Interview : Lisa Clamens
Captation vidéo : Quentin Laperche-Calvo
Captation son : Quentin Laperche-Calvo
Montage : Quentin Laperche-Calvo
Interview : Thibaut Bourgeois & Claire Lhermitte
Captation Vidéo : Maxime Sabaté
Captation Son : Claire Lhermitte
Montage : Léa Fournier & Thibaut Bourgeois
Interview : César Hélion-Joly
Captation vidéo : Clara Loustau & Maxime Sabaté
Captation son : Thibault Maïo
Montage : Clara Loustau
Interview : Quentin Laperche-Calvo
Captation vidéo : César Hélion-Joly
Captation son : Thomas Rouillon
Montage : Quentin Laperche-Calvo
Je n’ai rien à faire ce soir. Je rentre encore du travail dans ma petite Peugeot rouge, coincée entre un rond point et un feu tricolore. C’est cette heure bizarre où il ne fait pas encore nuit mais où on ne voit déjà plus rien. À part bien sûr ce fichu panneau publicitaire qui dans l’obscurité grandissante est un phare des plus désagréable. Il est apparu il y a quelques mois et ne propose que des promotions sur les côtelettes à Intermarché, ou un deal un peu trop juteux chez le garagiste local. Les formes s’animent et dégueulent sans fin, déversant leurs couleurs criardes en direction des automobilistes qui attendent que le feu passe au vert. Il est trop lumineux et m’exaspère. Je tente de l’ignorer mais évidemment on ne voit que lui. C’est le roi du carrefour et je sais très bien qu’en changeant de couleur, le feu ne sera pas assez long pour que je puisse lui échapper. Au contraire je vais seulement m’en rapprocher. Mais alors que je freine une énième fois derrière la 206 qui me précède, une autre publicité arrive, de nature bien singulière.
Au milieu de montagnes jaunes, vertes et roses, se trouve le titre d’une exposition dont j’avais entendu parler, « Paysage-fiction » du festival accè)s(s.
Je me rappelle pourquoi ce visuel me dit quelque chose. Hier au même instant je me faisais la même réflexion, enfin quelque chose de différent à voir sur ce panneau inutile.
J’avais d’ailleurs regardé un peu plus en détail ce festival qui a comme thème la culture électronique et... Attends, quel jour sommes-nous ? Je scrute le panneau à la recherche d’autres informations. L’affichage stipule du 12 octobre au 8 décembre. Aujourd’hui, nous sommes le 11. J’ai lu hier sur internet que le vernissage se déroulait le 11 au soir.
Je n’ai toujours rien à faire ce soir, alors pourquoi pas ? J’enclenche mon clignotant avec une nouvelle impatience et quitte mon itinéraire quotidien en quête du Bel Ordinaire.
Le chemin ne m’est pas inconnu. J’étais déjà venue une ou deux fois pour d’autres expositions. Ce sont les anciens abattoirs de Billère qui ont été réaménagés en espace d’art contemporain. Je ne connais pas grand chose à l’art, mais j’aime voir des expositions de temps en temps. Même si c’est obscur et que le sens d’une œuvre m’échappe très souvent, au moins je vois des choses nouvelles.
Il est 19 heures. Est-ce que c’est trop tard, ou trop tôt, pour venir ? Je n’ai jamais été à un vernissage et tout à coup je prends conscience de ma tenue. Peut-être ne suis-je pas assez habillée ? J’espère que je ne vais pas me retrouver avec des gens trop guindés, dans une ambiance de snobinards imbus de leurs personnes, les joues remplies de petits-fours et de concepts fumeux. Ça ne passerait pas.
Toutes ces questions sont balayées lorsque je vois les enfilades de voitures garées de chaque côté de la route. Il y a un évènement au Bel Ordinaire, je peux maintenant l’affirmer. Mes dernières craintes s’envolent lorsque je vois la structure du bâtiment, les lumières et les gens réunis devant. Je me mets à la recherche d’une place pour me garer et heureusement j’en vois une pas trop loin. Une autre voiture, pleine à craquer, se gare près de moi et un groupe de jeunes, bruyants et joviaux, en descend avant de se précipiter vers l’entrée. Je leur emboîte le pas et nous traversons le jardin et l’esplanade où des groupes de visiteurs s’amoncèlent devant les grandes portes vitrées. Toute la façade est faite de vitres, et les lumières à l’intérieur suffisent à éclairer l’extérieur. Les jeunes retrouvent leurs amis, leurs groupes, et moi je m’avance vers l’entrée. Il y a plus de monde que je ne l’avais imaginé. Je me faufile entre les conversations et traverse les baies vitrées. Rapidement je suis bloquée dans mon avancée. En face de moi se trouve l’entrée de la salle d’exposition, mais entre nous une queue compacte se démène pour avancer. Les gens patientent sans se plaindre, et s’engagent dans des discutions animées sur l’art ou les artistes invités. Je ne suis vraiment pas dans mon élément! Je vois contre un pilier un présentoir à prospectus et je reconnais le visuel des montagnes. Je le prends et commence à l’explorer. Au moins ça me permettra d’attendre en ayant l’air un tantinet occupée pour que personne n’engage la conversation avec moi. J’aurai trop peur de ne pas savoir répondre! Le dépliant s’ouvre sur un édito de Charles Carcopino, le commissaire invité. Il y parle de la notion de paysage, de sa représentation et la façon dont les artistes se l’approprient. Les notions de réel et de fictif, d’immersion et les relations à la technologie. La page suivante présente l’exposition que je m’apprête à voir. Le visiteur est invité à un voyage poétique à travers différents médias. Des vidéos et des installations qui redéfinissent l’idée du paysage. Je ne sais vraiment pas quoi en penser pour l’instant. Je continue ma lecture qui m’apprend l’existence d’autres expositions ainsi que des concerts rattachés au festival. La queue continue de progresser doucement. Alors que je m’approche de plus en plus de l’entrée, les murmures de conversations augmentent. Tout le monde s’impatiente alors que l’espace d’exposition se dévoile entre deux épaules. Je peux voir un couloir où des gens évoluent, avec aux murs des ouvertures cachées par des rideaux noirs.
La queue avance encore et je vois enfin pourquoi nous sommes bloqués à l’entrée. De jeunes gens de l’organisation donnent des pass pour rentrer. « C’est pour réguler le flux des visiteurs » dit l’un d’eux à une dame qui n’a pas l’air de vouloir comprendre. « Sinon, il y aurait trop de monde pour certaines œuvres...»
Trop de monde? Je n’aurais jamais pensé qu’un musée puisse refouler ainsi les gens. Pourtant, au vu de la mer de visiteurs dans laquelle je me trouve, je peux comprendre que nous ne serions jamais tous rentrés sans nous marcher sur les pieds.
Alors il faut attendre. Quelqu’un rentre, quelqu’un sort, c’est la règle. Un couple à côté de moi parle d’une conférence qui a eu lieu dans l’après-midi, et du fait qu’ils avaient hâte de voir en vrai l’œuvre du collectif Hehe. Diable, je ne sais vraiment rien sur ce festival. Moi qui pensais que ce n’était pas grand chose, je me rends compte de son ampleur.
— «Madame ?»
Je n’ai pas réalisé qu’on me tendait un pass. En le prenant, je remercie le bénévole à l’entrée et munie du précieux sésame j’entre enfin dans l’exposition.
Le couloir est bondé d’adultes, parfois avec leurs enfants, qui observent des choses à travers leurs téléphones. Je m’approche d’un homme seul et regarde discrètement au dessus de son épaule. Sur le mur il y a un dessin en noir et blanc qui ressemble à un bâtiment en ruine, et sur l’écran, ce bâtiment change. Des vidéos et du son se lancent dans les espaces blancs de la toile. Je ne vois pas trop ce qu’il s’y passe, mais ça a l’air marrant, et les dessins se colorent de plein de façons différentes.
Mais il y a trop de monde dans ce couloir alors je me décide à entrer dans une des salles. Je choisis celle de droite, la plus proche de l’entrée. Il faut écarter un rideau noir puis l’on pénètre dans un espace à la lumière tamisée. La première chose que je vois est un écran à ma droite qui affiche une vidéo. Je ne sais pas comment identifier ce que j’y vois. On dirait un liquide qui tourne, composé d’encre colorée et d’huile qui ne se mélangent pas. Cela me rappelle les motifs sur le dos des seiches ou les stries des poissons dragons. C’est très organique.
Mais ce qui m’intéresse vraiment dans cette pièce est l’installation en face de moi. Je m’approche de la structure afin de mieux comprendre ce que je vois. Des dizaines de bouteilles en verre sont entreposées sur une ossature de métal et de bambou. Elles sont parcourues de fils électriques et à l’intérieur je peux voir des morceaux de métal flottants dans des liquides clairs, parfois entourés de résidus étranges. Comme de la lie en suspension, allant du gris à l’ocre. En face, reliés aussi par des fils et une branche, il y a trois écrans qui diffusent des images de paysages déserts, rudes, caillouteux, aux lumières éthérées. Il y a de légers mouvements, mais jamais les mêmes, et tout a l’air au ralenti.
Je comprends assez vite qu’il y a une relation entre les deux. Je retourne aux bouteilles pour les regarder de plus près avant d’être frappée par l’affinité qui unit les deux côtés. Les écrans diffusent des images zoomées de ce qui se trouve dans les bouteilles. Il y a des hauts parleurs qui diffusent des « musiques » que je ne comprends pas, mais qui plongent ce laboratoire dans une ambiance étrange.
Enfin dans un autre coin se trouve la dernière œuvre de la pièce. De loin, ça ressemble à un aquarium, mais en m’approchant je vois qu’il est rempli à moitié de sable, et est baigné d’une lumière verte. Au début rien ne se passe et je reste au moins une minute à observer ce sable inerte. J’attends, et j’attends encore. Il va bien se passer quelque chose non ? Soudain, le sable bouge. Je cligne des yeux, pour être sûre que ce n’est pas une illusion. Mais non, il bouge! Il donne l’impression d’être habité par de petits êtres qui évoluent en dessous. Je sais! Ça me fait penser au film « Planète hurlante », de Christian Duguay, où les machines vivent dans le sable et veulent anéantir toutes forme de vie. Mais ici les « créatures » ont l’air des plus inoffensives...
Je m’extasie encore quelques minutes sur « Dune », réalisée par Claire Isorni avant de ressortir dans le couloir. Je longe le côté droit pour éviter la foule massée au milieu et j’entre dans la seconde salle pour découvrir... un trou dans le mur. Je me sens démunie face à cette information. Comment ça se fait ? C’est bien un trou, de la taille d’une roue de vélo. Il est entouré de débris de plaques de plâtres éventrés, comme si il y avait eu une explosion dans le mur. Au milieu de cette déchirure glisse une coulée informe et grise. Elle ressemble à une cascade de boue qui se déverse sans fin. C’est déroutant. Comment est-ce que ça fonctionne? Je m’approche mais je ne vois aucun mécanisme. J’ai peur de rentrer en contact avec ce magma qui déborde de l’inconnu. Je me souviens aussi que ça ne se fait pas trop de s’approcher autant d’une œuvre. Je reste cependant à regarder la boue couler, me demandant d’où elle vient et où elle va.
Il y a d’autres choses dans cette pièce et je quitte « Exsurgence » de Fabien Léaustic pour « Loop Forest » de Gabriel Lester. C’est charmant. C’est une petite forêt sur un tapis roulant qui tourne. Un projecteur l’illumine d’un côté, ce qui forme un cercle de lumière mouvant sur le mur d’en face. On pourrait se croire dans un décor de cinéma, éclairé par la Lune. Rien ne semble perturber le mouvement des arbres, et pourtant leurs ombres deviennent dramatiques au mur, inquiétantes et mystérieuses.
Derrière cette œuvre se trouve une immense table recouverte d’un tissu noir à côté de laquelle un tuyau sort d’une boîte. Son embouchure se trouve au milieu de la table et crache de la fumée. Celle-ci rebondit sur le tissu, évoluant comme un solide, créant des formes, avant de disparaître. Puis une autre bouffée sort du tube et tout recommence, sans jamais être pareil. Je trouve ces volutes très jolies, même si leur sens m’échappe. J’essaye de les relier à la notion de paysage, mais je n’y comprends rien. Ce n’est que de la fumée.
Au fond de la pièce se trouve un rideau noir sur lequel des flèches de ruban adhésif pointent vers la gauche. Je soulève le tissu pour tomber nez à nez avec un jeune homme qui tente de sortir. Je devine que l’espace est plein. Même si la curiosité me dévore je rebrousse chemin car je n’ai pas envie d’attendre, et ça me paraît un peu trop noir à l’intérieur.
Je sors donc de la pièce, en jetant de nouveau un coup d’œil au trou béant qui m’avait accueilli. C’est un vrai mystère. Dans le couloir j’hésite entre aller tout droit ou continuer à droite. Plusieurs éléments me guident vers la seconde option. Premièrement, la troisième salle est aussi dotée d’un rideau, et, chose intéressante, de la fumée s’en échappe. Deuxièmement, une forte odeur que je n’arrive pas à identifier provient de cette direction. Sur le sol à l’entrée de la pièce je vois écrit « Absynth » de Hehe. Tiens, les gens dans la queue en parlaient tout à l’heure. En traversant le rideau, je plonge dans un autre univers. Je ne vois rien au début, seuls des sons me parviennent. C’est indéfinissable, un mélange de basses et de couinements d’oiseaux? Je commence à apercevoir des formes. Il y a un rideau en face de moi qui dessine un couloir vers la gauche. Là je tombe sur une ouverture bondée de visiteurs muets. Je glisse ma tête entre deux épaules afin de profiter du spectacle. L’espace est toujours aussi sombre mais je vois parfaitement la scène.
J’ai l’impression d’être dans une forêt. Il y a devant moi des rangées de sapins perdus dans la brume. De l’eau s’écoule quelque part dans une étrange ambiance tamisée. C’est comme si chaque particule d’eau dans l’air absorbait les rares sources de lumière. Cette dernière, une nouvelle fois, est verte, mais très faible, comme fuyante. Elle se diffuse à peine dans l’espace, laissant ses contours flous. Soudain alors qu’un éclairage beaucoup plus fort s’allume, une forte pluie se met à tomber et s’écoule en rangées propres sur les arbres. La musique des basses accélère et m’entoure complètement, accompagnée par le cliquetis fracassant de l’eau. Cette pluie est bizarre. On dirait qu’elle remonte. Ça doit avoir à faire avec cet éclairage. Effet stroboscopique, il me semble? Je trouve ça magnifique. Pour un instant je me crois réellement perdu dans ce paysage artificiel, hypnotisée par les sons et la force de cette pluie « magique ». Mais rien dans cette exposition ne semble garder une forme statique. La lumière vacille et s’éteint avant de revenir, en flashs, de plus en plus rapides. Elle n’est qu’une succession d’aveuglement et d’obscurité, avant de s’éteindre complètement. Le cycle reprend et l’étrange lueur verte réapparaît, rassurant les spectateurs. Je suis étourdie par cette expérience, et c’est presque groggy que je passe le rideau noir, suivi par les réminiscences sonores et odorantes de cette forêt lointaine.
Il est étrange de se retrouver dans ce couloir si actif et plein de visiteurs. C’est un autre univers, et il me reste encore beaucoup à explorer. Je me dirige vers la dernière salle et me faufile une nouvelle fois entre des battants de rideaux noirs. Cette pièce est immense, et grouillante de monde. Le contraste avec la salle précédente est saisissant. D’une ambiance sombre et immersive, je me retrouve dans une abondance de lumières et de mouvements. Je me retrouve en présence d’énormément d’éléments différents, mais qui ont l’air de fonctionner ensemble. Pour commencer deux énormes projections au mur. J’y cherche désespérément un sens figuratif. Pour l’une ce serait une forêt bleue ou des flocons de neige. Pour l’autre ce serait des formations gazeuses, comme la surface de Jupiter par exemple. Mais en réalité ce sont des mers de pixels qui évoluent à leur propre rythme, offrant ce qu’on veut y voir.
Pour leur faire écho, deux sculptures leur font face. L’une est suspendue au plafond, l’autre au sol. La première est un enchevêtrement d’éléments imprimés sur du ...plexiglas si je ne m’abuse. On dirait un mobile, dans lequel je reconnais des yeux, des plantes, des visages, de la fourrure et des parties d’animaux; mais rien n’est rattaché à un quelconque contexte. Ça n’a ni queue ni tête, enfin si, mais au final non.
L’autre pièce est disposée au sol et semble aussi en plexiglas. Elle représente un paysage géométrisé par la découpe du matériau. Elle s’étale en partie au sol, puis s’élève de différentes façons. C’est comme des cristaux qui se forment, qui se construisent. La matière transparente qui structure la pièce permet de voir au travers, et avec la projection qui se reflète dessus, elle devient presque mouvante.
Une cloison sépare le reste de l’espace. Je contourne donc « Exploded Views » de Naïmé Perrette, qu’un visiteur manque d’écraser, et je m’engage d’un côté pour découvrir un panneau géant. Décidément ils me suivent ! Celui-ci pourtant est bien différent. Il est décomposé en petites lumières LED qui s’allument plus ou moins pour former une mosaïque. Le motif ressemble une nouvelle fois à un paysage désertique, comme des chaînes montagneuses sans fin. À côté, sur un piédestal, est posée une grosse pierre surplombée d’une lumière. Elle possède des reflets bleus et je constate qu’elle tourne très lentement en cercle. L’image sur le panneau tourne aussi à la même vitesse. Les deux éléments sont évidemment liés. Je comprends de mieux en mieux les relations d’images maintenant. C’est très joli, mais ça fait mal aux yeux.
Je passe de l’autre côté du mur et tombe presque nez à nez avec une boule de cristal. Elle est posée sur une main gantée à hauteur de regard. Alors que je passe devant une image apparaît en son centre. Je tente de m’ajuster, j’avance et je recule, jusqu’à ce que je puisse distinguer ce qu’elle renferme. Serait-ce la mer ? Mais oui c’est bien un rivage. Les vagues s’y fracassent doucement. Dès que je bouge pourtant, l’image disparaît, engloutie par le verre courbe de la sphère translucide. Cette œuvre s’appelle « Tenir la Mer » et est réalisée par Laurent Pernot. Il n’y a rien de plus vrai. La main tient littéralement la mer ! À côté un rideau vole tranquillement. À sa surface est projetée l’image d’une fenêtre. Un ventilateur caché dans un coin fait onduler les tissus, faisant croire au réel de l’image.
Je me rends compte que j’ai fait le tour de l’exposition. Je sors le pass de ma poche et me dirige vers la sortie, la tête pleine d’images extraordinaires. L’art est compliqué à comprendre, mais ça vaut le coup. Je rends le sésame à l’entrée, permettant à une nouvelle personne de découvrir les merveilles que je quitte. La foule qui s’amasse à l’entrée est toujours pressante, et ça me fatigue. Je remarque à peine le magnifique buffet en forme d’île déserte qui se dresse à ma droite et sors, pour prendre un brin d’air frais. Le soleil s’est complètement couché, fatigué de cette longue journée. Je pense à faire de même, éreintée par tant d’aventures visuelles. Je regarde une dernière fois l’entrée du Bel Ordinaire, sa foule, son souffle qui s’agite derrière les vitres. Je retourne à mon véhicule en coupant à travers le jardin Quoi ? Tout le monde le fait ! En passant je suis interpellée par des cris. Non loin de moi un groupe est rassemblé en cercle, penché sur quelque chose. Fatiguée, mais la curiosité à nouveau aiguisée, je m’avance pour découvrir une sorte de monticule. C’est difficile de voir dans le noir, mais on dirait plutôt... un puits ? Je ne savais pas qu’il y en avait un ici. Autour de moi ça rigole, ça s’espante. M’approchant avec circonspection, je regarde le fond. Je ne comprends pas l’effusion qu’il procure, ce n’est qu’un puits. Une personne se penche en avant et se met à crier. Je n’en crois pas mes sens. Le sol tremble tout à coup sous mes pieds. Je titube en arrière, effrayée. C’est le puits qui fait ça ? Les secousses s’arrêtent je reviens timidement à ma place. Un nouveau cri, une nouvelle convulsion du sol. Je laisse échapper un petit rire d’étonnement. C’est remarquable.
Sur cette dernière expérience je quitte définitivement les lieux, jouant avec mes clefs de voiture. Cette visite était une surprise. J’ai pu voir des choses captivantes et intéressantes que je ne pouvais pas imaginer. La définition du paysage est bien plus complexe que je ne le pensais. La voir à travers le regard d’artistes, qui ont une vision et une pratique parfois aux antipodes les uns des autres, était à mon avis la partie la plus curieuse. Ils m’ont montré leur imagination, leurs avis et leurs critiques. Et j’ai été touchée, attirée dans leurs univers. Je n’ai pas tout compris, mais j’ai trouvé un sens lorsque je pouvais le voir, l’interpréter. C’est le plus important non ? Apercevoir un moment de poésie, qu’il soit bref, idiot, drôle ou mélancolique. Juste vivre quelque chose. Je m’en sens rafraîchie, des images plein la tête. Je reviendrai faire une ballade dans ces paysages, je le sais. Et qui sait, je découvrirai peut-être de nouveaux horizons.
— Jeanne Hervé-Maley
Intrigante, énigmatique, et surtout immersive ! Une expérience à vivre comme un voyage. Pour sa 18e édition, le festival accès)s( nous propose de plonger dans un univers où le paysage est mis à l’honneur sous toutes ses formes. Ce ne sont pas moins de dix-neuf œuvres pour dix-neuf artistes que l’on peut retrouver du 11 octobre au 9 décembre 2018, au sein du Bel Ordinaire, l’espace d’art contemporain de l’agglomération paloise, qui accueille cette année encore l’exposition liée au festival. « Paysage fiction » explore la relation ambiguë que l’Homme entretient avec la nature au travers de projets divers qui questionnent notre imaginaire ainsi que la représentation que l’on se fait de notre nature environnante. Celle-ci devenant de plus en plus technologique, il est légitime de questionner son caractère à devenir matière à fiction et c’est ce qu’ont fait les seize artistes réunis par Charles Carcopino, curateur invité par Pauline Chasseriaud, directrice du festival accès)s(.
C’est en traversant le premier rideau, que l’on se retrouve directement plongé dans une pièce sombre, éclairée à la seule lueur d’écrans et de néons. Face à nous une structure en métal où est accrochée de la verrerie. Et c’est en se rapprochant de ces objets que l’on découvre la création d’un environnement chimique et évolutif. Notre nature est régie par des lois élémentaires de la Physique et de la Chimie, se servir de ces mêmes phénomènes pour en créer une nouvelle est un moyen intéressant de lier l’Art et la Science. « Buzz Aldrin Syndrome » est un dispositif qui traduit, sous forme de courant électrique, les bandes sonores de films de science-fiction pour les injecter directement dans des solutions chimique. Ceci donne lieu à ce qu’on appelle une « électrolyse ». Cette réaction chimiques a pour finalité la création de dépôts sédimentaires au fond de la verrerie pour former des décors propres à l’univers de la science-fiction. Nous incitant ainsi à imaginer un univers, un scénario, voire même un écosystème.
C’est cette même logique de réflexion que l’on retrouve dans « Dune », une installation de Claire Isorni, qui met en scène un vivarium remplit de sable et qui semble à première vue inhabité. La mise en scène d’un univers fictionnel, surplombé d’une lumière verte renforçant le caractère surnaturel de ce que l’on observe, projette notre esprit dans un paysage complètement fictif, où notre imaginaire articule toute une histoire autour de ce décor propice à l’écriture d’une fiction. En y prêtant plus attention, on perçoit que le sol du vivarium s’anime aléatoirement, comme si une créature invisible habitait l’espace et soulevait légèrement le sable durant son passage. Une véritable immersion à la fois spatiale et émotionnelle est engendrée par le dispositif qui amène de la fiction d’une manière suffisamment subtile pour nous captiver entièrement.
En arpentant le couloir principal du Bel Ordinaire, on entend un son étrange, comme une sorte de grognement presque imperceptible mais pourtant bien présent. Une ouverture offre la possibilité de se faufiler dans un lieu où le regard est directement happé par un élément pour le moins étrange. Juste en face se trouve une cimaise où une imposante saignée réalisée au marteau est visible. La matière est littéralement déchiquetée, d’énormes impacts sont présents, si bien qu’on imagine l’ampleur de la puissance de celui qui a détruit cette cimaise. Un liquide épais s’écoule à l’intérieur, plongeant l’esprit de celui qui regarde dans ce qu’il peut considérer être la matière première du bâtiment . « Exsurgence » est une installation de Fabien Léaustic qui explore l’invisible de notre monde en proposant de révéler la beauté de la terre et de notre nature en profondeur. L’aspect de la saignée, sa taille imposante, la texture épaisse du liquide, les coulures perceptibles à sa surface, la sensation étrange d’observer quelque chose qui n’est pas censé être vu, tout ceci nous immerge littéralement et nous questionne sur ce qui nous entoure, tant sur ce qui est visible que sur ce qui ne l’est pas.
L’invisible est souvent une source d’inspiration pour la science-fiction. Là où le visible propose la découverte d’un élément, l’invisible laisse place à l’imagination et à la création. « MAP » est une installation de Bertrand Lamarche qui pousse l’esprit à la confection de paysage fictionnel. Un dense brouillard se répand, sur le plateau noir d’une table en fer, laissant imaginer la géographie de l’environnement qui pourrait être présent sous cette fumée. L’immersion est accentuée non pas par ce que l’on voit mais plutôt par ce qu’on l’on pense voir. Une certaine poésie se dégage de son installation, par l’absence même de forme définie, qui accentue le caractère qu’on pourrait qualifier d’interactif avec le spectateur de l’œuvre. Une interaction mentale, certes, mais pourtant bien présente. L’imaginaire du spectateur est sollicité et stimulé tout au long de l’observation de l’installation. Le brouillard se répand, se transforme, évolue librement et tout au long de sa métamorphose, l’esprit ne cesse de façonner un environnement par rapport à ce qu’il voit. Bien qu’il reste tout de même invisible.
À l’endroit où est disposée cette œuvre, un son résonne, répétitif, mais qui ne ressemble pas au grognement perceptible de l’axe principal. Un rideau, un franchissement, puis c’est le noir total. La perte de repère se fait sentir et nos sens se retrouvent stimulés à leur paroxysme. Face à nous, une lumière balaie la pièce de droite à gauche, telle la lumière d’un phare qui chercherait à attirer le regard du capitaine au large. La lumière passe et on comprend qu’elle est projetée sur un voile qui fait office d’écran. Ce même écran réagissant au souffle d’air des ventilateurs disposés dans la pièce. L’immersion est immédiate et le public se retrouve entièrement plongé dans un univers de sensations tactiles, visuelles et sonores. Un paysage projeté où l’abstraction est de mise et qui laisse à l’imagination et l’esprit la possibilité de voir ce qu’il a envie de voir, accentuant ainsi le phénomène de paréidolie. « Auto Observatory : Duet/L », est une installation de Mischa Daams, qui propose une expérience assez unique et réellement immersive, en faisant de votre corps non pas un élément passif de l’œuvre, mais plutôt l’acteur de l’immersion proposée.
En regagnant le couloir principal et en se rapprochant du fond de celui-ci, les bruits du début du parcours retentissent de nouveau, et ce, de plus en plus fort. Un autre rideau, un autre franchissement, puis de nouveau le noir complet. Seulement du bruit, des grognements ainsi qu’un son répété qui, en y prêtant plus attention, ressemble fortement à de la pluie qui tombe. On avance le long du mur que l’on devine, puis nos sens s’éveillent un à un. Une odeur et même une sensation d’humidité nous parcourent le corps. On avance dans cette pièce pour tomber face à face au projet « Absynth » du collectif HeHe, composé de Helen Evans et de Heiko Hansen. Tout autour de nous se dresse une forêt où un épais voile de brume nous empêche d’en observer les limites. Un grognement de plus en plus puissant nous apparaît en provenance des entrailles de ce paysage. La forêt, souvent synonyme de romantisme est désormais associée au surnaturel et à l’étrange. Un sentiment de malaise s’installe peu à peu. Soudain un flash. Puis la pluie que l’on percevait se met, sous l’effet de lumière stroboscopique, à s’écouler vers le haut, comme si on se retrouvait tout à coup dans un monde qui fonctionnerait à contresens de notre réalité. Bien que dérangeant, le spectacle nous immerge littéralement dans le paysage fictionnel, qui nous est proposé, en suscitant nombre de nos sens pour stimuler notre imagination et nous intégrer complètement dans ce spectacle. L’écriture d’une histoire ou d’un scénario, mais aussi la possibilité de donner vie à nos peurs, par la vision de ce décor est imaginable tant l’immersion est profonde. L’installation donne une vision alternative de notre réalité où le climat varie et donne naissance à des phénomènes météorologiques fantomatiques tels des pluies acides ou encore des nuages toxiques. Paysage purement fictionnel ou bien œuvre annonciatrice d’un hypothétique futur ?
Ce n’est qu’une fois après avoir découvert d’où provenait le son perceptible à l’entrée du couloir que notre attention peut se focaliser sur ce qu’il se passe le long de cet axe de passage. Face à nous, le public scrute le couloir du lieu en pointant leur téléphone vers les murs. Des dessins ? Est ce qu’ils ont toujours été là ? L’impression de découvrir ce paysage qu’on explore depuis quelques temps déjà nous amène à réfléchir sur notre perception du monde. C’est justement le principe du projet « Screencatcher », réalisé par Justine Emard. La réalité augmentée est une technologie qui consiste en la superposition d’éléments virtuels sur notre réalité, nous donnant accès à une dimension invisible. Ici, en scannant les différents dessins à l’aide d’une application à télécharger au préalable, il nous est offert la possibilité d’accéder à une sorte d’archive assez forte. Les vieux cinémas américains en plein air ont disparu, l’idée est ici d’offrir une seconde vie à ces installations au travers d’un monde virtuel en superposant aux dessins une projection fictive . Le public est donc happé par une vision du passé et explore ainsi l’esthétique de ces installations qu’il a peut être déjà pu expérimenter ou bien la découvrir dans le cas contraire.
C’est le long des murs de ce couloir que l’on accède à une nouvelle entrée qui mène à la dernière pièce du lieu d’exposition. Des vidéos, des projections, des installations, plus ou moins grandes sont présentes un peu partout. Mais c’est au fond de la salle, dissimulé derrière une cimaise, que l’on découvre le projet « Outretemps » réalisé par Atsunobu Kohira. Loin de l’effervescence du public, loin du bruit, loin de toute l’agitation qui peut avoir lieu dans l’établissement, se trouve là, une pièce, qui adoucit l’ambiance par sa poésie. Sur un socle est posée une pierre teintée d’un bleu azur, un lapis-lazuli pour être précis, surmonté d’un outil qui, à la fois, l’éclaire et la filme. La captation est alors diffusée sur un dispositif placé à côté de ce piédestal. Ce dispositif, composé de LEDs, nous propose une vision d’un détail de cette pierre au travers du prisme lumineux. Une texture évolue face à nous, le mouvement de la pierre sur son socle agit sur l’image qui est diffusée, faisant penser à un territoire vu du ciel. La transcription de la pierre sur l’écran donne ainsi naissance à de nouveaux territoires qui suscitent en nous l’envie de découverte en les arpentant et en les explorant plus en détails.
Au final, on quitte « Paysage-Fiction » avec la sensation d’avoir exploré notre réalité en profondeur. Observer la manière qu’ont les artistes de se l’approprier pour créer de la fiction en sollicitant l’imaginaire ainsi que les sens du spectateur est une expérience qu’on recommande fortement. Chaque expérience est personnelle et c’est en ce sens que l’immersion est totale et unique en son genre. Si la fin de l’exposition marque la fin d’un parcours, elle signifie aussi le début d’un autre voyage qui nous pousse à observer notre paysage comme matière à fiction.
— Christophe Léon
Accès étrange : bonjour l’angoisse — En passant la porte j’ai entendu les bruits d’un ventilateur se mêler aux coulées de boue. Le cri de rage et de détresse. Bref, une arrivée en zone hostile, sauvage. Partout une mélodie d’apocalypse s’installe sur un fond de guerre bruyant, sale. Le vent souffle toujours et la violence s’intensifie. Enfin le calme d’une forêt néanmoins inquiétante, je ne bouge plus et écoute dans un coin. La nature se déchaîne avec une force assourdissante. Enfin le calme et tout se délite et se repose. Au final rien de si étrange ne m’a semblé si familier. — Paysage sonore de César Hélion-Joly
En quelques images, un panorama de l’exposition Paysage fiction, par Clara Desperben
Les Ambassadeurs — David de Tscharner
Les Ambassadeurs — David de Tscharner
Les Ambassadeurs — David de Tscharner
Auto observatory — Mischa Daams
Auto observatory — Mischa Daams
Buzz Aldrin Syndrome — Florimond Dupont, Quentin Euverte
Buzz Aldrin Syndrome — Florimond Dupont, Quentin Euverte
Buzz Aldrin Syndrome — Florimond Dupont, Quentin Euverte
Buzz Aldrin Syndrome — Florimond Dupont, Quentin Euverte
La couleur des nuages — Fabien Léaustic
Dune — Claire Isorni
Dune — Claire Isorni
La fenêtre et Tenir la mer — Laurent Pernot
La fenêtre et Tenir la mer — Laurent Pernot
Loop forest — Gabriel Lester
Loop forest — Gabriel Lester
MAP — Bertrand Lamarche
MAP — Bertrand Lamarche
Outretemps — Atsunobu Kohira
Outretemps — Atsunobu Kohira
Ce site web est le résultat d’un workshop mené par les étudiants du pôle Nouveaux Médias de l’École supérieure d’art et de design des Pyrénées, accompagnés par Sarah Taurinya Brown, journaliste indépendante, dans le contexte du festival accès)s( 2018.
Issu de l’axe de recherche “Écritures numériques” porté au sein du pôle par Julien Bidoret, Vincent Meyer et Jean Paul Labro, ce workshop se proposait d’expérimenter et de questionner les médias numériques tant dans leurs logiques de conception éditoriale que de réalisation de contenus ou de diffusion.
Le résultat a pris la forme d’un site web, créé pour documenter et diffuser des productions singulières autour du festival : des articles, des interviews des artistes présents sur le site (à propos de leur travail, de leurs recherches et plus particulièrement des œuvres présentées pour le festival), mais aussi l’envers du décor (l’équipe de production, les stagiaires et bénévoles présents pour épauler les artistes lors du montage de l’exposition).
Paysage-fiction est l’exposition de la 18e édition du festival accès)s(. Elle emmène le spectateur en voyage à travers des installations et des vidéos immersives, augmentées et interactives qui évoquent la nature et le paysage à notre ère technologique. Cette exposition a été réalisée en co-production avec le Tetris (salle de spectacle et lieu de création au Havre), dans le cadre de « Un Été au Havre ».
Le code (approximatif) du site web est disponible sur github
Clara Loustau, Quentin Laperche-Calvo, Lisa Clamens, Jeanne Hervé Maley, Christophe Léon, César Hélion-Joly, Clara Desperben, Claire Lhermitte, Léa Fournier, Thibault Maio, Maxime Sabaté, Naïm Dufour, Sybille Clemente, Thibaut Bourgeois, Thomas Rouillon, Li Wang.
Sarah Taurinya Brown
Julien Bidoret, Vincent Meyer, Jean-Paul Labro, Julien Drochon, Jean Marie Blanchet.
Montage : Clara Loustau. Musique : Nuh Nuh, Joasihno
Jeanne Hervé Maley